De l’importance du Sutta-Vinaya

Basé sur Liberation: Relevance of Sutta-Vinaya par Dhammavuddho Mahathera

Introduction

De nos jours, on trouve une prolifération de livres et d’enseignements sur le Bouddhisme, écrits ou donnés par un pléthore de gens qui ne sont pas tous dignes de confiance, et présentent l’enseignement du Bouddha d’une manière pas toujours fidèle, ce qui peut le cas échéant mener ceux qui les lisent ou les écoutent à divers malentendus. Puisque nous avons aussi en notre possession les discours du Bouddha, ou du moins des textes qui s’en rapprochent suffisamment (les souttas), il peut paraître avisé de leur donner la priorité, puisqu’ils présentent des risques minimisés de dérives dues aux interprétations des uns et des autres et donc de mécompréhension de l’enseignement du Bouddha. En fait, l’importance des discours du Bouddha pour la compréhension et la pratique du Dhamma, qu’il s’agisse d’une pratique laïque ou monacale, est de premier ordre.

Le Bouddha nous a mis en garde contre le fait que dans le futur, les gens refuseraient d’écouter ses discours à SN 20.7:

« Dans le futur, bhikkhous, la même chose se produira avec les bhikkhous: lorsque seront récités ces discours qui sont la parole du Tathagata, profonds, profonds dans leur signification, transcendants, [toujours] liés à la vacuité, ils ne les écouteront pas attentivement, ils ne prêteront pas l’oreille, ils n’appliqueront pas leur esprit à la connaissance, ils ne considéreront pas ces enseignements comme devant être appris et connus par cœur.

Et lorsque seront récités ces discours qui sont des compositions littéraires faites par des poètes, des mots d’esprit, des lettres d’esprit, qui sont extérieurs [à ce Dhamma] ou qui sont les paroles de disciples, ils les écouteront attentivement, ils prêteront l’oreille, ils appliqueront leur esprit à la connaissance, ils considéreront ces enseignements comme devant être appris et connus par cœur.

Et ainsi, bhikkhous, ces discours qui sont la parole du Tathagata, profonds, profonds dans leur signification, transcendants, [toujours] liés à la vacuité, disparaîtront.

C’est pourquoi, bhikkhous, vous devriez vous entraîner ainsi: ‘Lorsque seront récités ces discours qui sont la parole du Tathagata, profonds, profonds dans leurs bienfaits, transcendants, [toujours] liés à la vacuité, nous les écouterons attentivement, nous prêterons l’oreille, nous appliquerons notre esprit à la connaissance, nous considérerons ces enseignements comme devant être appris et connus par cœur.’ C’est ainsi, bhikkhous, que vous devriez vous entraîner. »

Lorsque nous faisons confiance à des personnes autres que le Bouddha pour nous enseigner le Dhamma, nous nous exposons à nous forger une compréhension erronée de son enseignement.


Les Nikāyas

Les discours du Bouddha (souttas) sont répertoriés pour la plupart dans le Sutta Piṭaka (ceux qui ont purement trait à la discipline se trouvent dans le Vinaya Piṭaka).

  • Le Dīgha Nikāya contient les plus longs discours, au nombre de 34, dont l’authenticité est mise en doute par les experts dans la plupart des cas.
  • Le Majjhima Nikāya contient des discours de taille intermédiaire, au nombre de 152, d’authenticité variable mais considérablement plus souvent crédible que dans la collection précédente.
  • Le Saṃyutta Nikāya contient des milliers de discours généralement courts (même si certains sont plus longs que ce qu’on peut trouver dans la collection précédente), regroupés par thèmes.
  • L’Aṅguttara Nikāya contient des milliers de discours généralement courts, considérés comme des listes ou énumérations d’un nombre croissant d’items au fur et à mesure que l’on passe d’une sous-partie de la collection à la suivante.
  • Le Khuddaka Nikāya est une collection disparate de textes parmi les plus anciens auxquels ont été ajoutés diverses productions, les derniers ajouts en date ayant été faits à la version birmane de la collection en 1956, avec l’addition de trois nouveaux livres (Milinda Panha, Petakopadesa et Nettipakarana). Parmi ces dix-huit livres, les six qui sont considérés comme authentiques sont Dhammapada, Udāna, Itivuttaka, Sutta Nipāta, Theragāthā-Therīgāthā et Jātaka).


Le Dhamma-Vinaya est notre enseignant

Dans ses discours, le Bouddha faisait référence à ses enseignements en utilisant le terme « Dhamma-Vinaya ». En ce qui concerne le Dhamma, il indique explicitement à AN 4.180 les souttas comme référence lorsqu’il s’agit de trouver si une déclaration est orthodoxe ou non. Le Vinaya, quant à lui, correspond au code de discipline des moines (bhikkhous) et des nonnes (bhikkhounis). Dans les Nikāyas, les souttas sont également considérés comme « saddhamma » (sant+dhamma), expression qui signifie ‘Dhamma authentique’.

Le Dhamma authentique s’incarne dans les quatre premiers Nikāyas (à condition de prendre en compte les questions d’authenticité) et dans les six livres anciens du Khuddaka Nikāya. Les textes contenus dans ces livres sont généralement acceptés dans toutes les écoles du Bouddhisme comme présentant l’enseignement originel du Bouddha. Malheureusement, certaines traditions n’accordent qu’une importance de second ordre à l’enseignement originel du Bouddha et se focalisent sur des enseignements qui ont été formulés bien plus tard par les patriarches ou les leaders contemporains de leurs traditions respectives.

Dans le Mahāparinibbāna Sutta (DN 16), le Bouddha conseille aux moines:

« Il se peut, Ānanda, que la pensée suivante vienne à certains d’entre vous: ‘C’en est fini de la parole de l’Enseignant. Nous n’avons plus d’Enseignant.’ Mais ils ne devraient pas penser ainsi, Ānanda, car ce que j’ai déclaré et fait connaître comme le Dhamma et le Vinaya sera votre enseignant une fois que je serai parti. »

Cette importante déclaration a été trop souvent négligée par les bouddhistes et les pratiquants du Dhamma. Beaucoup de bouddhistes cherchent un maître dont ils puissent être fiers, voire dont ils puissent vanter les accomplissements, et voyagent parfois à l’autre bout du monde dans l’espoir d’en rencontrer un. Certains vouent un culte de personnalité basé sur l’apparente bonté de certains enseignants plutôt que sur l’exactitude qu’ils sont en mesure de fournir au regard de l’enseignement originel du Bouddha. À  SN 47.13, le Bouddha conseille:

« vous devriez vivre en faisant une île de vous-même, en ayant vous-même pour refuge, sans avoir d’autre refuge, en faisant une île du Dhamma, en ayant le Dhamma pour refuge, sans avoir d’autre refuge. »

En d’autres termes, nous devrions ne dépendre que de nous-mêmes et de la parole du Bouddha (à l’exception des moines novices qui doivent dépendre pendant cinq ans d’un précepteur chargé de leur enseigner la vie monacale).


Nous ne prenons refuge que dans le Bouddha, le Dhamma, et le Sangha

Dans les souttas, le Bouddha fait référence à un moine comme un ‘ami favorable’ (kalyāṇamitta). Un moine est un bon ami qui nous introduit aux enseignements du Bouddha et nous encourage à le pratiquer. Mais c’est nous-même qui devons prendre refuge dans le Bouddha, le Dhamma et le Sangha. Pourtant, de nos jours certaines personnes ont ajouté un quatrième refuge (en un moine ou un enseignant), ce qui est en contradiction avec l’enseignement du Bouddha. On le voit très clairement dans les souttas.

Par exemple, à MN 84, un arahant fait grande impression à un roi par son enseignement du Dhamma, et ce dernier lui demande s’il peut prendre refuge en lui. L’arahant lui répond qu’on ne peut prendre refuge que dans le Bouddha, le Dhamma et le Sangha. Le roi demande alors où se trouve le Bouddha. L’arahant répond qu’il est décédé, mais que même dans ces conditions, il faut toujours prendre refuge en lui. Cette épisode montre que nous devrions toujours considérer le Bouddha comme notre enseignant principal, et toute autre personne comme ne jouant qu’un rôle secondaire.


Des enseignants internationalement réputés ont des vues erronées

Il est très difficile de savoir si un enseignant particulier est un ariya (noble) ou non, et on ne peut s’en remettre entièrement aux ouï-dire. Les recommandations selon lesquelles tel ou tel moine a de nombreux accomplissements ne sont que trop souvent pas fiables. À AN 5.88, le Bouddha explique que même un Ancien ayant un statut très élevé, un très grand groupe de fidèles et qui est très érudit dans le Dhamma peut avoir des vues erronées et induire ceux qui l’écoutent en erreur, les encourager à pratiquer de manière erronée et ainsi contribuer à leur malheur. Le Bouddha nous a mis en garde, car il savait qu’on ne peut pas se fier même à de tels moines. C’est pourquoi nous devrions considérer les souttas comme notre enseignant. Les autres enseignants ne peuvent être que des ‘amis favorables’.

Ainsi, à AN 4.180, le Bouddha enseigne les quatre  grandes références (mahāpadesa):

« il se peut qu’un bhikkhou dise: ‘Dans telle ou telle résidence, séjourne un grand nombre de bhikkhous aînés qui sont très instruits, qui connaissent l’Enseignement par cœur, qui ont l’Enseignement, la Discipline et les résumés [d’enseignement] à l’esprit. J’ai entendu cela en présence de ces aînés, j’ai appris cela en leur présence: voici ce qu’est l’Enseignement, voici ce qu’est la Discipline, voici quelles sont les instructions de l’Enseignant.’ Il ne faut ni accepter, ni contester les paroles de ce bhikkhou. Sans les accepter ni les contester, il faut attentivement prendre note des mots et des phrases, puis les vérifier par rapport aux souttas et les rechercher dans la Discipline. Si, après les avoir vérifiés par rapport aux souttas et recherchés dans la Discipline, ils ne sont pas vérifiés dans les souttas et ne se trouvent pas dans la Discipline, alors il faut en conclure: ‘Certainement, ce n’est pas la parole du Fortuné, de l’arahant correctement et pleinement éveillé, et cela a été mal appris par ces aînés’. Ainsi, bhikkhous, cela devrait être rejeté.

Ou bien, il se peut qu’un bhikkhou dise: ‘Dans telle ou telle résidence, séjourne un grand nombre de bhikkhous aînés qui sont très instruits, qui connaissent l’Enseignement par cœur, qui ont l’Enseignement, la Discipline et les résumés [d’enseignement] à l’esprit. J’ai entendu cela en présence de ces aînés, j’ai appris cela en leur présence: voici ce qu’est l’Enseignement, voici ce qu’est la Discipline, voici quelles sont les instructions de l’Enseignant.’ Il ne faut ni accepter, ni contester les paroles de ce bhikkhou. Sans les accepter ni les contester, il faut attentivement prendre note des mots et des phrases, puis les vérifier par rapport aux souttas et les rechercher dans la Discipline. Si, après les avoir vérifiés par rapport aux souttas et recherchés dans la Discipline, ils sont vérifiés dans les souttas et se trouvent dans la Discipline, alors il faut en conclure: ‘Certainement, c’est la parole du Fortuné, de l’arahant correctement et pleinement éveillé, et cela a été bien appris par ces aînés’. Bhikkhous, vous devriez garder en mémoire cette troisième grande référence. »

Ce discours nous montre combien une bonne connaissance des souttas est fondamentale pour être capable de distinguer ce qui relève de l’enseignement authentique du Bouddha de ce qui a été inventé par d’autres, généralement pour servir leur propres intérêts. Une telle connaissance nous permet aussi distinguer entre un enseignant qui professe le Dhamma authentique et un enseignant qui a des vues erronées.


Les contrefaçons prennent le pas sur le Dhamma

Dans le Saddhammappatirūpaka Sutta (SN 16.13), le Bouddha prophétise:

« Le Dhamma authentique ne décline pas tant qu’une contrefaçon du Dhamma authentique n’apparaît pas dans le monde, mais lorsqu’une contrefaçon du Dhamma authentique apparaît dans le monde, alors le Dhamma authentique décline.

Tout comme [l’usage de] l’or ne décline pas, Kassapa, tant qu’une contrefaçon de l’or n’apparaît pas dans le monde, mais lorsqu’une contrefaçon de l’or apparaît dans le monde, alors [l’usage de] l’or décline;{2} de la même manière, Kassapa, le Dhamma authentique ne décline pas tant qu’une contrefaçon du Dhamma authentique n’apparaît pas dans le monde, mais lorsqu’une contrefaçon du Dhamma authentique{3} apparaît dans le monde, alors le Dhamma authentique décline. »

Notes du traducteur:

2. contrefaçon… l’or décline: la contrefaçon étant toujours plus facile à produire que le véritable or, les producteurs plus soucieux de leur profit immédiat que de l’authenticité de leur produit se mettent à la répandre, multipliant ainsi artificiellement la quantité d’or en circulation. Le grand nombre ne sait pas faire la différence entre le véritable or et l’or contrefait qui prend sa place, et accepte donc l’usage de ce dernier. Les véritables marchands d’or peuvent toujours coexister avec les faussaires, mais ils sont très largement noyés dans la masse. C’est ainsi que l’usage de l’or authentique disparaît.

3. contrefaçon du Dhamma: de toute évidence, il est ici fait référence à ce qui se passe à l’époque du Bouddha lui-même. Certains enseignements ont pu être élaborés en prenant pour base celui du Bouddha et en y faisant quelques changements. Peut-être même est-il fait référence au jaïnisme, qui ressemble assez fortement au bouddhisme dans bien des aspects, notamment dans le rôle du Fondateur, qui est sur le point de mettre un point final à son errance dans le samsara et qui enseigne aux autres comment faire de même.
Les commentaires théravadins font référence à d’autres textes tels que le Vinaya secret (guḷhavinaya), l’Aṅgulimāla Piṭaka ou le Vedalla Piṭaka. Ce dernier semble faire référence aux Prajñāpāramitā Sūtras, qui sont censés avoir été découverts dans un monde de Nāgas (serpents/dragons), ce qui ne manque pas de sembler quelque peu extravagant à certains.

Dans le Pāsādika Sutta (DN 29.7), le Bouddha déclare que si quelqu’un pense pouvoir enlever quelque chose à la vie brahmique en se disant qu’il la rendra plus pure, ou bien lui rajouter quelque chose en se disant qu’elle sera plus complète, c’est qu’il ne la voit pas (i.e. ne la comprend pas). En d’autres termes, si une personne déclare qu’on a besoin de développements théoriques qui ne se trouvent pas dans les souttas pour comprendre le Dhamma, c’est que cette personne a très probablement mal compris le Dhamma.

Conclusion

Voici pourquoi nous devrions prendre les souttas comme notre référence première dans notre étude des enseignements du Bouddha, et ne considérer tout le reste qu’à la lumière de ces derniers. De nos jours, si l’invention de l’écriture puis de l’informatique et de l’internet facilite grandement cette tâche par rapport à une époque précédant la démocratisation de l’écriture où tout savoir devait être mémorisé, elle recèle néanmoins une difficulté supplémentaire: l’épineuse question de l’authenticité des souttas. Il est clair en effet que certains souttas ont été grossièrement transformés (voir le cas de MN 117), mais il est difficile de se prononcer exactement sur la majorité d’entre eux, même si un certain nombre d’observations permettent de conclure que la plupart n’ont que peu ou pas subi de corruption au cours du processus de transmission.

Nous tenterons de clarifier ces points dans des articles à venir.

 

 

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