L’un des problèmes fondamentaux de l’existence humaine est que, même si les parties intelligentes de l’esprit sont correctement informées par une véritable sagesse, ses parties bornées, si elles sont livrées à elles-mêmes, peuvent s’avérer vraiment idiotes et nous mener à maintes reprises vers des comportements peu judicieux et des logiques à court terme qui finissent par nous créer des problèmes.
Il ne devrait pas être trop scientifiquement erroné de dire que les parties intelligentes de notre esprit fonctionnent sur la base des parties du cerveau qui sont spécifiques à l’humain, comme le néocortex, tandis que les parties bornées fonctionnent sur la base des parties du cerveau que nous avons en commun avec différentes classes d’animaux. Il se passe ainsi constamment un phénomène comme le suivant : nos sens obtiennent des informations du monde extérieur, cette information passe par une partie de l’esprit qui évalue si elle est agréable ou non, on obtient la sensation correspondante dans le corps, et ensuite des parties profondes de l’esprit, souvent subconscientes, réagissent automatiquement à cette sensation, avec une soif d’en obtenir plus si elle est agréable ou une aversion à son encontre si elle est désagréable.
Ces processus se produisent dans l’ombre de notre subconscient et, si ils sont livrés à eux-mêmes, mènent souvent à des troubles tels que les comportements compulsifs, les addictions etc. Par exemple, une addiction très commune de nos jours est le sucre et les aliments qui en contiennent, bien que d’un point de vue purement rationnel on devrait les éviter presque complètement. Et que dire des écrans, des réseaux sociaux, de la dopamine ? Il y a même des gens qui préconisent maintenant des cures de désintoxication à la dopamine, parce que le monde moderne a fait de nous des accrocs à la dopamine, et nous en payons le prix.
Les bouddhistes, les hindous, les jains etc. croient en général que si nous nous laissons contrôler par les parties bornées, animales de notre cerveau et notre esprit, qui ne font que suivre ce qui est agréable à court terme, alors lorsqu’on meurt, notre attachement à l’existence nous mène à une naissance parmi des êtres qui partagent nos habitudes mentales, dans ce cas-ci les animaux. Tandis que la clé d’une naissance dans un plan d’existence plus élevé et plus heureux (pour les chrétiens, imaginez des anges de nombreuses sortes) est d’organiser notre vie avec sagesse, selon des standards adéquats des parties spécifiquement humaines de notre cerveau et notre esprit.
Dans le bouddhisme, en tant que science de la spiritualité, il y a un outil très simple qui est utilisé pour atteindre les parties profondes de notre esprit, qui sont bornées, survivalistes et profondément liées au corps, afin de les rendre plus intelligentes en les faisant rejoindre les parties intelligentes de l’esprit qui comprennent la sagesse. C’est un outil qui est lié aux deux : la respiration.
En effet, la respiration peut être contrôlée volontairement par l’esprit intelligent si on le souhaite, mais lorsqu’on ne la contrôle pas volontairement, l’esprit profond, survivaliste, prend le relais et fait le travail, à l’arrière plan de ce qu’on fait à ce moment-là. La respiration agit ainsi comme un pont qui nous permet de joindre le conscient au subconscient. L’idée est d’observer la respiration, avec toute l’attention que possèdent les parties intelligentes de l’esprit, tout en la laissant devenir automatique, c’est à dire contrôlée par les parties usuellement bornées de l’esprit. C’est ainsi que les deux parties se rencontrent et, à travers la pratique, s’unissent. C’est comme effectuer une plongée profonde dans notre subconscient (Freud aurait dû essayer), et le rendre intelligent plutôt que borné et réactionnaire. Au final, in parvient à prendre le contrôle de parties de notre esprit qui jusque là fonctionnaient automatiquement, dans l’obscurité de notre subconscient, et de certaines parties qui étaient auparavant dormantes, mais qui commencent à s’éveiller (p. ex. souvenirs de notre petite enfance, et ensuite avant cela etc.)
Le Bouddha (littéralement : l’Éveillé) appelait cela samadhi (rassemblement [de l’esprit]) ou citassekagatta (unification de l’esprit). Cette pratique nous donne le contrôle sur notre esprit-singe, qui cesse d’errer dans les marécages du dialogue intérieur et des rêvasseries incessants, et commence à devenir utile, capable de faire beaucoup de choses, tout comme un éléphant sauvage, une fois apprivoisé et dressé, peut être utilisé pour transporter de lourds troncs d’arbres.
Pour le moment, j’en suis toujours à la partie apprivoisement et dressage initiale, et lorsque l’entraînement devient un peu trop ardu, mes habitudes mentales sauvages peuvent reprendre le dessus temporairement. Alors le charmant monastère peut commencer à sembler comme une prison, et certaines parties de mon esprit commencent à se demander pourquoi je ne suis pas en train de parcourir librement la Terre. Je dois alors lui rappeler que je n’ai jamais parcouru librement la Terre, que tout déplacement entre deux points a toujours eu un coût, que j’essayais presque toujours de minimiser.
Ainsi, il y a des jours où les différentes parties de mon esprit entrent dans un conflit ouvert. Heureusement, cette fois-ci ce n’est jamais devenu vraiment difficile. La dernière fois que j’étais un moine, en 2016, j’avais eu une version assez amère de ce conflit du tout premier jour continuellement , jusqu’à ce que je défroque deux mois plus tard. Il semble donc que je sois assez sûrement sur les rails, puisque l’une des bonnes choses dans cette voie est que, tout le reste demeurant égal, la situation ne peut que s’améliorer, en vertu de grandes quantités de pratique de la méditation.
Paix et amour